2 sept. 2010

Accidents et incidents dus aux anesthésiques locaux en odontostomatologie, aspect clinique.

   Dans la mesure du possible, chaque odontostomatologiste souhaite pouvoir soigner ses patients de façon indolore. Pour ce faire, une série de produits anesthésiants efficaces sont à notre disposition. Inutile d'insister sur la diversité des molécules d'anesthésie ainsi que les techniques d'infiltration. Pourtant, il nous arrive de ne pas obtenir une anesthésie suffisante ou, pire encore, de déclencher des accidents de causes diverses. Ces situations sont désagréables tant pour le patient (qui, en raison de la douleur, devient plus anxieux et donc plus difficile à soigner) que pour le praticien, confronté alors à une situation parfois sérieuse.
   Cependant, la survenue d’un accident, même si elle n’est pas fréquente, doit conduire le praticien à adopter une attitude rassurante sur le caractère le plus souvent réversible de la situation. Enfin, lorsque l’événement survient, la mise en place de procédures visant à rétablir la situation physiologique reste l’attitude la plus pertinente.
   Nous essayerons de présenter les différents accidents pouvant survenir suite à une anesthésie locale, ainsi que la conduite à tenir pour faire face à ces complications:

  • Accidents dus à la molécule anesthésique :

   Les anesthésiques locaux sont des substances relativement sûres lorsqu’ils sont utilisés en suivant les recommandations. Cependant, lors de l’utilisation de ces solutions, comme lors de celle de toute substance, il existe potentiellement un risque : la manifestation des effets indésirables. Quand une substance est administrée, deux types de réactions peuvent être observées : des actions désirées qui sont cliniquement recherchées et généralement bénéfiques, et des actions indésirables qui s’y ajoutent et qui ne sont pas recherchées.
    • Quantité toxique :
Il s’agit de l’administration d’une quantité trop importante d’une molécule d’analgésie locale, entraînant une réaction d’overdose. Cette réaction d’overdose durera aussi longtemps que le taux sanguin de l’agent dans les tissus se maintiendra au-dessus du seuil de toxicité. Des concentrations sanguines élevées en anesthésiques locaux peuvent être dues à une ou plusieurs des raisons suivantes :
- une dose administrée totale trop importante ;
- une résorption inhabituellement rapide à partir du site d’injection (dans le cas par exemple d’un état inflammatoire accompagné d’une vasodilatation intense) ;
- une administration intra-vasculaire accidentelle ;
- une anomalie quantitative ou qualitative des protéines transporteuses lors de la distribution, conduisant à une plus grande quantité de forme libre d’analgésie locale dans le plasma ;
- une biotransformation anormalement faible de la substance : ce problème se rencontre principalement pour les molécules à fonction amide dont le métabolisme est hépatique. Ainsi, tout facteur altérant le débit sanguin hépatique (cirrhose, collapsus tensionnel, débit cardiaque faible, prise de bêta-bloquants, sujets âgés, etc...) conduira à une augmentation de la demi-vie d’élimination et majorera les concentrations plasmatiques des aminoamides ;
- une élimination rénale trop lente.
    • Signes d'alarme:
A/ Sur le plan fonctionnel doivent alerter :
- des paresthésies de la bouche, des lèvres, de la langue, des mains et des pieds ;
- une céphalée brutale, un état nauséeux, une somnolence, des vertiges ;
- une sensation d’angoisse, de mort imminente ;
- une logorrhée (flux intarissable de parole) ou une dysarthrie (trouble de l’élocution) ;
- une désorientation ou des hallucinations (acouphènes) ;
- diplopie ;
- des secousses musculaires (myoclonie : contraction brève et involontaire d’un ou de plusieurs muscles) ou des convulsions généralisées.
B/ Sur le plan somatique doivent alerter :
- une pâleur ;
- une tachycardie ;
- une dyspnée ;
- un état confusionnel. 
    • Conduite à tenir :
   Concernant le traitement des signes d’alarme, l’injection doit être immédiatement interrompue, le patient doit être allongé et de l’oxygène doit lui être administré au masque tandis que le praticien lui demande d’hyperventiler.
    Concernant le traitement des convulsions, il faut assurer la liberté des voies aériennes et l’oxygénation, afin d’éviter l’hypoxémie et une acidose. Si la crise convulsive persiste, l’utilisation d’un anticonvulsivant est justifiée (par exemple, diazépam en intraveineux). Si un coma s’installe, une intubation et ventilation sont alors nécessaires.
   Concernant le traitement des manifestations cardiovasculaires : une hypotension nécessite une oxygénothérapie au masque en décubitus dorsal, jambes relevées. Si elle ne cède pas rapidement, un transport médicalisé en réanimation est alors nécessaire.
    • Allergie :
    La majorité des auteurs s’accorde à dire que l’allergie vraie aux anesthésiques locaux à base d’aminoamide reste exceptionnelle. Les réactions allergiques concernent donc essentiellement les molécules à fonction ester dont le principal catabolite, l’acide para-amino-benzoïque (PABA), possède des propriétés allergènes. En outre, il est important de souligner que les allergies aux anesthésiques locaux sont essentiellement des mécanismes allergiques de type I et, à moindre degré, de type IV, selon la classification de Gell et Coombs (Tableau). Ces accidents toxiques peuvent se produire dès la concentration de 2 μg/ml.





  • Manifestations cliniques :
    • Réactions dermatologiques: 
A/ l’urticaire, qui est une éruption passagère localisée de papules rosées ou blanchâtres accompagnée de démangeaisons intenses ;
B/ l’angio-oedème ou oedème de Quincke, qui est un gonflement localisé en réponse à un allergène, se localisant au niveau des mains, du visage, des pieds et des organes génitaux, mais qui peut également toucher les lèvres, la langue, le pharynx et le larynx (consécutif à l’application d’anesthésique de surface) pouvant même provoquer une détresse respiratoire;
C/ le syndrome de Lyell, qui est une atteinte cutanée pouvant être mortelle, caractérisée par un décollement de la peau en larges lambeaux. La cause la plus fréquente est médicamenteuse (forme grave de la toxidermie médicamenteuse), mais, dans un certain nombre de cas, l’origine n’est pas retrouvée.
    • Réactions respiratoires:
A/ le bronchospasme est la manifestation allergique respiratoire classique, dont les symptômes sont les suivants : détresse respiratoire, dyspnée, sifflements, rougeur subite, cyanose, tachycardie, anxiété ;
B/ l’œdème laryngé, extension d’un œdème vasculo-nerveux au larynx, peut entraîner l’obstruction des voies aériennes supérieures.

    • Choc anaphylactique:
La plus dramatique et la plus grave des réactions allergiques est l’anaphylaxie généralisée ou choc anaphylactique : le patient peut y succomber en quelques minutes. Elle peut survenir quelle que soit la voie d’administration, mais semble plus fréquente après une administration parentérale. Le temps de réponse est variable, mais celle-ci se développe de manière assez rapide, atteignant une intensité maximale en 5 à 30 minutes. La progression typique des signes et symptômes de l’anaphylaxie généralisée est la suivante : réactions cutanées, spasme des muscles lisses des appareils gastro-intestinal, urogénital ainsi que respiratoire, détresse respiratoire, collapsus cardiovasculaire jusqu’à la perte de conscience et l’arrêt cardiaque.
   Cependant, la survenue d’un choc anaphylactique doit amener à poser un diagnostic différentiel avec le simple malaise lipothymique. Trois points importants permettent de distinguer le choc anaphylactique de la simple lipothymie :
  1. son délai d’apparition, au moins 3 à 5 minutes après l’injection, est plus long que celui du malaise vagal, qui peut survenir quelquefois au moment même de l’injection ;
  2. il comporte presque obligatoirement des signes cutanés à type de prurit puis d’urticaire, tachycardie, douleur épigastrique vive, suivie d’un collapsus, bronchospasme, etc. ;
  3. enfin et surtout, les accidents anaphylactiques aux anesthésiques locaux sont très rares.
    • Conduite à tenir :
   La thérapeutique varie selon la manifestation allergique et consiste d’abord en l’éviction de l’allergène dans la mesure du possible, en des mesures d’hygiène pour diminuer sa présence et enfin en un traitement spécifique comme la désensibilisation. Les traitements symptomatiques consistent à administrer des antihistaminiques (H1) de synthèse utilisés de manière préventive ou des inhibiteurs de la dégranulation des mastocytes, ou bien la corticothérapie.

A/ Face aux réactions cutanées :
• administrer 0,3 ml (0,125 ml pour un enfant) d’adrénaline à 1/1 000 en intramusculaire (ou 3 ml à 1/10 000 en intraveineux) ;
• faire une injection IM d’un corticoïde : Solu-Médrol® (méthylprednisolone), soit 1 mg/kg/j ;
• administrer un antihistaminique de synthèse en IM : dexchlorphréniramine (Polaramine®), soit 4 mg/kg/j chez l’enfant et 12 mg/kg/j chez l’adulte ou méquitazine (Primalan®), soit 2,5 mg/kg/j chez l’enfant et 10 mg/kg/j chez l’adulte ;
• en cas d’oedème de Quincke : effectuer une pulvérisation bucco-pharyngée et inhalation d’adrénaline (Dyspné-Inhal®) ;
• obtenir pour le patient une consultation avec un allergologue;
• garder le patient en observation pendant au moins 60 minutes pour être témoin d’une éventuelle rechute, puis le renvoyer sous la surveillance d’un adulte en prescrivant un antihistaminique par voie orale.

   Pour le cas particulier du syndrome de Lyell : les médicaments suspects (l’injection) doivent être immédiatement arrêtés. L’hospitalisation doit se faire en soins intensifs et le traitement est identique à celui d’un grand brûlé.

B/ Face aux manifestations respiratoires :
      • Broncho-spasme:
• placer le patient en position semi-assise ;
• lui administrer de l’oxygène à l’aide d’un masque ou d’un embout nasal à une vitesse d’écoulement de 5 à 6 l/min ;
• administrer de l’adrénaline par injection IM. (0,3 ml d’adrénaline à 1/1000) ou autre bronchodilatateur à l’aide d’un aérosol (Ventoline®) ;
• administrer un antihistaminique en IM pour diminuer la possibilité de rechute et le renvoyer après lui avoir prescrit un antihistaminique par voie orale ;
• garder le patient en observation pendant au moins 60 minutes avant de considérer son renvoi. Si une rechute se produit, réadministrer de l’adrénaline ou une inhalation et, si nécessaire, demander une assistance médicale (SAMU).
      • Oedème laryngé:
• placer le patient en position couchée sur le dos avec les pieds légèrement surélevés ;
• administrer au patient de l’oxygène ;
• administrer de l’adrénaline ;
• administrer des antihistaminiques en IM ;
• en dernière intention, si les précédentes étapes n’ont pas permis de rétablir la liberté des voies aériennes, une procédure d’urgence consiste à réaliser une trachéotomie, suite à laquelle la circulation de l’air devra être maintenue ;
• demander une assistance médicale (SAMU).

C/ Face à une anaphylaxie généralisée: il convient :
• de placer le patient en position allongée, couchée sur le dos, les jambes surélevées ;
• de libérer les voies aériennes supérieures ;
• de ventiler avec de l’oxygène pur ;
• d’administrer de l’adrénaline en IM ou en IV ;
• d’effectuer une injection IM d’un corticoïde : méthylprednisolone (Solu-Médrol®), soit 1 mg/kg/j ;
• d’effectuer une injection IM d’un antihistaminique : Polaramine® : 1 ampoule de 5 mg, soit prométhazine (Phénergan®) : 1 ampoule de 50 mg ;
• de rassurer le patient si celui-ci est conscient ;
• de faire une injection de sérum glucosé en perfusion, si le patient est inconscient ;
• de surveiller les signes vitaux (pression artérielle et pouls, réaliser un massage cardiaque si nécessaire) ;
• de demander une assistance médicale (SAMU).
Chez ces patients, il faut absolument proscrire les amino-esters. Cette famille est très peu utilisée en Europe. Cependant, un analgésique de contact de cette famille est commercialisé, il s’agit du Topex®, qui est donc à proscrire chez eux. De plus, avant de déclarer le sujet allergique aux analgésiques, il faut éliminer les allergies dues aux digues et aux gants en latex. Le patient doit être orienté vers un service d’allergologie où des tests cutanés à lecture immédiate, tels que le prick-test ou l’intradermoréaction, permettront un diagnostic plus précis. Par conséquent, les analgésiques de type amino-amide avec épinéphrine ou norépinephrine sont particulièrement indiqués chez ces patients.

4 commentaires:

  1. tres interessant comme sujet .
    je crois qu il merite une attention particuliere au niveau de l enseignement surtout pratique.
    il faudra ajouter a tous ce qui a ete decrit un autre type d accident aussi rare que meconnu qu est l emphyseme , qui peut etre sans risque particulier mais peut entrainer dans de rare cas le deces par obstruction des voies aeriennes.

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  2. merci pour la remarque yassir,
    je crois que l'emphysème est lié au volume injecté surtout en cas d'anesthésie tronculaire. Généralement le traumatisme dû à l'injection se manifeste par des ecchymoses qui passent inaperçues dans les structures profondes mais évident en cas d'anesthésie au voisinage du foramen mentonnier. Heurusement que ce n'est pas toujours le cas.

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  3. sinon, on entend par emphysème son sens impropre qui désigne l'infiltration des tissus profonds par un gaz sous pression pouvant être responsable de lésions plus ou moins graves allant des simples ecchymoses à l'embolie gazeuze en cas d'infiltration vasculaire.

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  4. ca m est arrive en infiltrant au niveau d une 15 et en vestibulaire , c impressionnant , a la palpation on note une crepitation et objectivement c impressionnant , ca se traduit par un oedeme tres rapide avec cette crepitation.
    CAT : solumedrol en injection intramusculaire , et ATB et suveillance.

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